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Vins, sources d'Emotions

Rats pompons

23 Septembre 2018, 13:23pm

Publié par Vins & Emotions

Descendre dans cette cave était déjà périlleux à l’aller, surtout durant les semaines pluvieuses d’automne, plus encore avec le gel d’hiver. Alors au retour, avec quelques lampées de trop, il devenait une montagne à gravir, avec ces obstacles d'ivresse, sans laisser de traces d'un possible passage, surtout lorsque l'on ne devait pas être venu ici.

 

Derrière cette maison de ville, un petit jardinet tranquille, d’un côté des appentis en bois, faits de planches disjointes, avec une porte déglinguée, de l’autre côté, des fleurs, des hortensias bleus ponctués de quelques hydrangéas blancs, le soleil peinait à rentrer entre les murs hauts des maisons adjacentes. Un coin voyait fleurir du muguet fin avril sous des bruyères annuelles, une flaque de mousse et d’eau où parfois des grenouilles faisaient quelques brasses. Et puis un muret de trente centimètres de pierres plates, des marches anciennes où les pas humains avaient poli les creux, forçant même un peu le nez des marches à prendre un angle descendant plus marqué.

 

En dessous de la maison, cette cave de ville s’ouvrait avec une porte en bois fermée d’un loquet improbable quant à son efficacité à arrêter un éventuel voleur, juste le vent peut-être, pour ne pas affoler les deux battants. Dessous, deux petits endroits au plafond voûté, au sol de terre battue. Ici, un coin pour le charbon, même si le chauffage au gaz avait remplacé depuis le poêle , un énorme tas noir et luisant. Là, un autre tas de pommes de terre, une année de cuisine, à l’abri de la lumière, car seule une minuscule lucarne donnait vers le trottoir extérieur, l’ampoule étant dans l’autre pièce. Celle de la vie courante, avec son garde-manger avec quatre étagères, entouré de grillage fin, prison idéale pour conserver les fromages frais, les œufs, parfois une motte de beurre, du saindoux aux herbes, quelques saucisses sèches aussi, un reste de repas pour les jours suivants. Deux jambons pendaient aussi du plafond, le vent séchait leurs viandes doucement fumées.

 

Rats pompons

 

Ici rien n'avait changé depuis près de deux siècles, la maison pesait de ses larges pierres sur cette voûte, le sol de terre battue s'était arrondi pour recevoir les formes concaves des deux tonneaux, chacun à une extrémité. L'un pour le cidre, avec des jus uniques mêlés après la récolte des petites pommes rouges du jardin de la rivière, des pommes jaunes à rayures rousses du champ du haut du village et parfois aussi des pommes difformes mais croquantes à souhait du verger commun. Uniquement des espèces non commerciales, car trop peu calibrées mais succulentes à croquer entre deux tours de vélos. Face à ce cidre en devenir,tiré et bu pour les repas courants, il y avait un tonneau plus petit, pour le vin. Un double cadeau annuel du patron du grand-père, à chaque printemps, à chaque automne, après les longues journées froides d'hiver, un vin nouveau venait remplir à ras bord le bois. Le métier rugueux quasi diabolique de tailleur de pierre, dans des carrières à ciel ouvert, où en toutes saisons il sciait des tranches de quarante centimètres de pierres blanches, pour les maisons de notables et parfois pour les églises. Chaleur excessive ou froid intense, il tapait, tapait encore, brisait la résistance de la matière avec la force pure, tels des forçats. Pour cela, en plus du salaire, il recevait deux tonneaux pleins de vin. Car chaque jour il emportait son repas dans sa gamelle bleue émaillée, mais aussi son litron pour ne plus sentir les coups, les douleurs et les éléments.

 

Mais ce tonneau avait un mystère que ma grand-mère ne comprenait pas. Il s'évaporait toujours trop vite, bien trop rapidement dans le trimestre suivant son remplissage. Pourtant il y avait une bonde, rustique certes avec un vieux bouchon large en liège et un tissu pour garantir l'étanchéité, mais parfois il tombait. Oui elle venait pour déposer des oeufs ou en reprendre, en constatant ce problème. Et puis surtout elle jetait un oeil dedans, le niveau baissait doucement mais régulièrement. Pourtant le vieux, tel qu'elle l'appelait, avait souvent déjà assez bu sur la route, surtout les semaines de paie, il s'arrêtait aux bistrots, la rue devenait toujours plus longue, son état frôlait les murs ensuite. Oui, saoul, ivre mort il tenait les murs, suivait le dernier bout de chemin jusqu'à la maison, avant de s'effondrer dans le lit, parfois même sur les tomettes de la chambre. Elle lui jetait alors une simple couverture, attendant le lendemain matin pour lui remonter avec force les bretelles avant de le voir partir vers son enfer, son travail dans les brumes du matin. Avec sa besace, sa gamelle et son litron plein. 

 

Toutefois ce tonneau ne fuyait pas, elle l'avait fait vérifier une fois presque vide, pas de bois poreux au-dessous vers la terre. Alors un soir, le grand-père était allé voir, cherchant une explication, et en remontant cet escalier de pierres froides, rassasié une lampée discrète, avec un petit gobelet émaillé qu'il cachait derrière le charbon, il avait trouvé la raison. Une illumination, une vérité unique. Ces copains lui avaient donné avant-hier au zinc entre deux ballons de rouge épais, entre un Cahors et un St Joseph. Il s'assit entre le feu doux du fourneau à bois, où mitonnait un ragoût de lapin, et la table large qui remplissait cette cuisine, la pièce principale. Il s'exclama "les rats pompons sont dans la cave". La grand-mère savait que les souries venait parfois gratter quelques pommes de terre, préférant les vrais pommes parfumées sur les claies où les rares jours où le garde-manger s'ouvrait tout seul, les morceaux de tomes fromagères. Mais le chat, Attila, un matou gris et bedonnant dormait souvent en bas, attendant ce repas vivant. Elle écouta toutefois le récit, les explications de son mari, validées par les témoins de bonne foi et de pleine raison qu'étaient les copains de bar. Oui, ces rats si intelligents savaient cogner la bonde, la fragiliser en sautant dessus toute la nuit pour la faire tomber au sol. Puis ils buvaient, mais là la grand-mère rappela la petitesse du trou du tonneau, les acrobaties improbables des rats. Là était l'argument phare, ils trempaient leurs queues, la ressortaient et ainsi buvaient le gros rouge. Sans limites. Sans jamais remettre la bonde.

 

Force était de constater que la nature savait s'adapter à ses gourmandises, que les animaux eux aussi trouvaient à leur goût. 

 

Toutefois, l'année suivante, après avoir subtiliser le gobelet émaillé, qu'elle avait découvert en portant le charbon, sans aucune réclamation d'un possible propriétaire, et avant le remplissage à nouveau du tonneau, elle fît nettoyer celui-ci. Surprise, la dernière ingéniosité des rats pompons, ils prenaient une longue paille dans la campagne, la transportait jusqu'ici pour la tremper dans le vin. Ils la laissaient tomber dans le fond. Pas vu, Pas pris.

 

 

"  Le vin donne de l'esprit, 

l'ivresse emporte les oublis. "

 

 

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